Pendant 16 ans, on a tous cru que le 3ème album de Dr. Dre serait “Detox“, promu comme l’album de rap le plus avant-gardiste de tous les temps. Légende urbaine, album impossible, classique avorté, le projet de toutes les suppositions et de tous les fantasmes a finalement eu le seul sort qu’il méritait d’avoir:  il n’existe pas et n’existera jamais. Dr. Dre qui ne s’est jamais considéré comme un véritable M.C – et on peut estimer que c’est un domaine dans lequel il peut montrer des limites étant donné qu’il n’écrit pas ses textes, n’est pas régulier dans ses sorties et n’a pas un flow extraordinaire – est sans doute aucun un homme intelligent. À ce stade d’attente – 5000 jours, c’est long – Detox n’aurait jamais pu être “Detox” et aurait risqué de ruiner son héritage. Il choisit de passer par une autre porte, un enjeu moins risqué et moins dangereux, celui de la bande originale de film. “Compton” est ce pari, ce face-à-face de l’artiste avec le public, quasiment 30 ans après ses débuts. Les premiers pas, son histoire, sa construction dans le groupe N.W.A., tout est abordé dans ce projet à la fois dithyrambique, rageur mais aussi, malheureusement, un peu pâle.

dre, la chronique de son nouvel album

À 50 ans, les enjeux du rap game ne sont plus tout à fait les mêmes qu’à 20 ans. Comme Snoop Dogg ou encore Nas, Dr. Dre a dû faire face à une situation assez difficile dans l’élaboration de ce nouveau projet: faire un album de vétéran solide sans toutefois dérouter ses fans de longue date, le tout en réussissant à toucher la jeune génération. Accompagné d’une pléiade de producteurs (Dem Jointz, Dj Khalid et même Dj Premier) qu’il supervise et dirige, il a choisi de proposer un opus profondément contemporain. Dans Compton, les sonorités G-funk et purement gangsta sont mises de côté pour laisser place à une multitudes d’influences et d’ambiances qui s’assemblent cependant bien les unes avec les autres. Il n’est cependant pas dit que les puristes seront déçus car les productions (qui sont bien évidemment le gros point de ce projet) sont superbement réalisées. L’Oreille de Dre et sa technicité n’ont pas failli et il prend des risques. On sent qu’il a soigneusement écouté tout ce qui s’est fait lors des dernières années, aussi bien chez les garçons du rap indé (BIG K.RIT, Currensy, Freddies Gib) que chez ceux du rap plus populaire pour façonner cet album.

Ce qui ne veut pas pour autant dire qu’on ne ressent pas la patte de Dre, Just Another Day ou encore le terrible Satisfaction montre que l’homme a encore de cette subtilité qui a fait le succès de Chronic. Genocide, en compagnie de Kendrick Lamar, Marsha Ambrosius et Candice Pillay, s’érige comme un petit ovni, à la fois sombre, rythmé et cadencé et qui mérite tout à fait sa place de single. Le rap de Kendrick Lamar, nouveau roi de la côte ouest, est parfaitement balancé et est sans doute aucun l’un des couplets les plus réussis de cet opus. En effet, si les invités sont nombreux sur l’opus, ils ne sont pas toujours à la hauteur. Dans les moins bons, Eminem nous offre un couplet à rallonge complétement raté et barbant sur Medecine Man; Ice Cube se veut malheureusement assez moyen sur Issues et bien sur nous avons Dre qui est la plupart du temps mou, voire légèrement à coté de la plaque. Certes, il est plaisant de l’entendre à nouveau, mais le flow en lui-même est clairement poussif. Ajouté au fait qu’il cultive une solide auto-suffisance et “chante” ses propres louanges dans la plupart de ses couplets, on est forcé de reconnaitre qu’il est loin d’être le meilleur rappeur de cet opus. Les nombreux autres invités font bien mieux. Snoop Dogg montre qu’il n’a rien perdu de sa versatilité en étant totalement mordu sur le fabuleux One Shot Kill, puis plus en retrait et peaceful sur Satifiscation; X-Zibit prouve qu’il reste un cascadeur fiable et charismatique quand il entre en maitre sur Loose Cannons, on regrette d’ailleurs ne pas l’entendre plus souvent. The Game, lui, a encore de bons restes du premier “The Documentary” qu’il livre sans ciller sur Just Another Day, avec Asia Brant, l’une des 2 chansons où Dre n’apparait pas et où il ne manque franchement pas. 50 cent manque malheureusement à l’appel mais la nouvelle génération de poulains de Dr. Dre se défend elle aussi très bien. King Mez est sûrement le meilleur dans cette catégorie. Souvent présent dans l’opus, sa démonstration de force d’entrée sur le titre aux influences trap, Talk about it, est excellente sur un titre du genre et efface complétement son protecteur. Sur le merveilleux, enragé mais si décomplexé Dark Side/Gone, on le retrouve aussi avec plaisir pendant que Marsha Ambrosious cimente les refrains d’harmonies vocales. Elle fait partie du groupe des “chanteurs” du projet avec Anderson Paak, qui est sans aucun doute la seconde nouvelle étoile de ce disque. Le jeune homme est quasiment sur toutes les chansons et apporte un plus à chacune de ses apparitions. C’est un chant doux mais totalement en phase avec l’ambiance street et condensé du projet.  Il saura sûrement se faire une place dans l’industrie après une telle exposition; Animals était l’une de ses meilleures prestations sur le disque. John Connor, récemment signé sur le label de Dr. Dre, et qu’on retrouve sur One Shot One Kill et  For The Love Of Money, fait lui aussi un boulot encourageant dans cet album qui ne manque clairement pas d’éclectisme.

Est-ce un classique à la hauteur de ses deux prédécesseurs ? Non, pas du tout, mais il n’a de toutes façons pas été construit dans cet esprit. Dr. Dre a voulu faire un bon album de rap 2015 en misant énormément aussi sur ses points forts: la production et la réalisation. (D’ailleurs, à cet effet, comme signalé plus haut, le storytelling et les paroles des titres sont un peu pauvres, ce qui peut paraitre curieux et affaiblit l’intensité d’une bande originale du genre). Dans l’objectif qu’il s’est fixé, le projet est réussi, mais ce n’est pas un album qui marquera son temps. Compton est “juste” un bon album de rap 2015, bien ficelé, qui, sans produire d’énormes hits mainstream, lui permettra de conserver son héritage, son statut, tout en entretenant la légende autour de lui, Andre Young, considéré comme le plus grand producteur rap de tous les temps.

15/20.