Plus gros vendeur de l’histoire du rap, Eminem est plongé dans une crise artistique dans laquelle il est entré à la fin des années 2000. Tubes pop faciles, albums moyens, manque de vision, Slim Shady a du mal à se repositionner et à faire ressentir l’audace et la rage qui furent autrefois siennes. 4 ans après “The Marshall Matters 2“, il livre cette fois “Revival”. Si, avec le précédent, il n’avait pas réussi à rallumer la flamme de son iconique opus, on aurait pu penser que “Revival”, présenté comme une sorte de révolution artistique, changerait la donne. Il n’en est malheureusement rien. Pourtant sur le papier, les ingrédients semblaient être réunis: Dr.Dre supervise l’album et prend donc les rennes de la direction artistique, et Eminem fait le plein d’invités plus ou moins prestigieux. Alicia Keys, Beyonce, Pink, Kehlani, ou encore Skylar Grey, on a jamais vu autant d’artistes mainstream réunis sur un même disque de l’ex Slim Shady. Là encore, malgré ses dernières errances, il y aurait pu avoir matière à produire de très grandes chansons, d’avoir une portée qui dépasse les simples frontières du rap. Mais malheureusement la magie ne prend pas. L’album fait le plus mauvais démarrage de sa carrière et écume finalement toute une rue de médiocrité réelle.

Une crise identitaire.

En réalité, le rappeur, qui a cette année fêté son 45e anniversaire, touche les limites d’un système qui n’avait plus réellement vocation à perdurer. Il a fondé les bases de son art et est devenu le plus grand vendeur de l’histoire du Hip-Hop, en étant le garçon pas comme les autres. Souvent transgressif, voire schizophrène pour une partie de l’Amérique, il a polarisé avec des albums de qualité, certes, mais surtout avec une identité bien distincte de tous les autres.Toutefois, 20 ans plus tard, il n’est clairement plus la même personne. L’artiste a changé mais surtout l’homme a évolué et veut voir les choses différemment, sans toutefois quitter le sommet des charts. Et, c’est peut-être là que le bas blesse. C’est comme une tragédie grecque, mais en même temps, c’est banalement humain. Il a eu tout ce qu’il a eu parce qu’il était l’homme qui n’en avait pas grand chose à faire de la célébrité, des prix, qui vivait le hip-hop à chaque respiration, dans chaque phrase, chaque mot et qui disait ce qu’il pensait/voulait, même quand cela devait lui attirer les foudres du grand public. C’était cet “esprit”, plus “rock’n’roll” que ‘rock’nll‘ qui a fait sa légende. On se souvient encore des clashs avec Michael Jackson, Christina Aguilera ou même Mariah Carey, ou des différents épisodes (souvent très durs) de sa vie privée, qui furent le moteur de grand nombre de ses titres. Toujours entier, brut, voire même brutal, c’est cette hargne, cette énergie, qui a donné à Eminem tout ce qu’il a eu au début de sa carrière. Le souci est qu’Eminem (tout génial qu’il puisse être) est aussi un homme, qui a pris goût aux honneurs et à ce succès et il ne veut plus que ça parte. Il tient à garder tout ça et ce même quand, artistiquement, il n’y est plus vraiment. Lui qui était le pourvoyeur (et vomissait) des pop stars, au début de sa carrière, a maintenant besoin d’elles pour essayer de rester présent dans les yeux d’un public jeune. Les textes sont de plus en plus caricaturaux, le coeur n’y est plus vraiment, mais on essaie de garder au moins le succès pour ne pas perdre la face, quitte à tomber dans l’extrême facilité et le générique…

“Revival” est un titre qui fait rêver, mais il n’a finalement de beau et de rêveur que son titre.

La forme pour cacher le fond.

Avec l’élection de Trump, l’ancien Slim Shady a cru trouver un souffle nouveau. Le problème (et c’est d’ailleurs pour ça que l’anti-Trumpisme ne fonctionne pas dans le monde artistique) est que cette fois, il n’est pas un rebelle. Taper sur Trump est devenu une sorte de lieu commun. L’angle n’est en aucun cas de savoir si c’est légitime ou non de le faire, pas de savoir si Trump a une bonne ou une mauvaise politique, ici, la question est au niveau de la structure idéologique et de la perception que l’artiste a de lui-même. En effet, le rebelle irrévérencieux (qui assumait ou faisait des choses parfois tout aussi choquantes que celles de Trump pour beaucoup de gens) fait finalement ce que tout le monde artistique et que 80% des gens sur Twitter font. Ce n’est donc plus idéologiquement le positionnement qu’il avait au début de sa carrière mais, en plus, ça manque de joliesse et d’élégance dans la manière dont c’est énoncé. C’est la collaboration avec Beyonce “Walk On Water” qui ouvre le disque, un moment où il exprime tant bien que mal cette fameuse peur de l’échec qui le parcourt tout au long du disque. Un sentiment réel, qui est cependant étayé de manière bancale, avec des lieux communs assez comiques qui servent parfois de rimes “I walk on water but I’m not jesus (je marche sur l’eau, mais je ne suis pas Jesus)”.

Si on comprend le désir de désacralisation, l’image un peu saugrenue prête à sourire, mais on rigole beaucoup moins quand les titres s’enchainent, pour laisser place à un flow forcé et caricatural sur des titres trap désuets (Believe), voire véritablement catastrophiques (Chloraspectic), ou lorsqu’on atterrit sur une ribambelles de mélodies pop insipides, tout droit sorties de l’époque “High School Musical”. Ces moments où il se sent obligé d’essayer de donner un semblant de fond (et encore, taper sur Trump et taper sur les terroristes, nous le faisons encore une fois déjà tous) pour cacher un manque de diligence artistique réel. Parce qu’il s’agit bien de cela. Il enchaine les banalités avec l’audace d’un pasteur corrompu, qui a très peur que ses fidèles ne découvrent qu’il n’est en réalité qu’un charlatan. Ce n’est pas tant le génie qu’il fut qui est décrié ici, mais c’est le spectacle assez difficile à écouter d’un artiste qui a perdu ses fondations, aussi bien idéologiques qu’artistiques. Il était le jeune homme cool, un peu foufou, que tout le monde voulait avoir pour ami. Il est devenu l’oncle un peu lourdeau qui veut tout faire pour rester dans le coup. Et ce, même quand il invite des artistes de caractères comme Alicia Keys, dont la voix est tellement modifiée qu’on dirait sa version Schtroumpf, ou Pink, qui ne trouve jamais vraiment sa place sur l’improbable “Need Me”. Sans parler du choix des samples, aussi convenus que risibles. Il passe du “I Love Rock and Roll” de The BlackHearts au “Zombie” de The Cranberries, toujours dans l’idée d’atteindre ce qu’il pense être une forme de rock, d’innovation et qui, non seulement ne lui correspond pas mais qui, surtout, aurait pu avoir un écho, il y a 40 ans. C’est fade, creux, comme le titre “Untouchable” censé dénoncer le racisme et qui nous laisse circonspect face à l’emploi d’une réthorique paternaliste… et profondément populiste. “Revival” n’est que surface à l’époque de la surface. C’est aussi peu la preuve qu’il faut malgré tout quelque chose de particulier pour incarner le vide, ce quelque chose Eminem ne le possède pas. Ce projet est en réalité à l’opposé de toutes les valeurs qui ont fait de lui la légende qu’il est .

Si dans un sens, c’est tout à son honneur, c’est de l’autre côté aussi pour ça qu’il est à ériger au panthéon de la défenestration artistique.  On a rarement vu un grand nom du rap s’effondrer aussi brutalement du fait de la non qualité totale d’un de ses albums. Pire encore, lorsqu’on sait que ce dernier se nomme ” Revival”, un comble.

Triste Réalité!